8 juillet 2013

Interview : Pierre Tosi, ex-coureur professionnel

De 1972 à 1977, Pierre Tosi a été coureur cycliste professionnel. Il a partagé la route sur les grandes classiques avec les athlètes de cette époque, comme Eddy Merckx. Vacciné avec un rayon de bicyclette, Pierre a n'a jamais arrêté le vélo. A 63 ans, il s'est même replongé dans l'ambiance de ses années "maillots en laine", en participant à l'Anjou vélo vintage 2013. Souvenirs et impressions après la rando de 87 kilomètres.

Pourquoi as-tu participé à l'Anjou vélo vintage ?
Pierre Tosi, à l'Anjou vélo vintage 2013.
Vélo et maillots italiens : du style, de la classe !
Pour essayer de rajeunir de quarante ans, pour retrouver mes sensations de jeune coureur. C'était mieux avant, non [sourire] ?

Quel vélo as-tu choisi ?
Un Neri jaune de 1978 acheté en Italie, équipé tout Campa Record, avec des manivelles de 180 et des boyaux. A l'avant, des développements comme en 1975 : 51 et 44. A l'arrière 13, 14, 15, 16, 17, 19 et 21. Je l'ai remonté spécialement pour l'Anjou vélo vintage.

Tu as déjà couru dessus ?
Oui, mais en amateur, quand j'ai repris une licence à la FSGT. Moneyron et Cadiou recouraient aussi en amateurs, ça roulait dur.

Tu roules actuellement sur un cycle Neri en carbone. Qu'est-ce que cela t'a fait de remonter sur ton vélo en acier ?
Comme c'est mou ! le cadre, les boyaux, les chaussures en cuir... Mais quel plaisir d'avoir roulé sur mon vieux vélo.

Pierre Tosi chez Magiglace :
il casse son vélo Juaneda
au bout de 40 km.
Sur quels vélos courais-tu chez les professionnels ?
En 1972, j'ai commencé chez Gitane sur un vélo de service - ils nous fournissaient un vélo de route et un vélo de piste. Ce vélo de route était trop mou ; en danseuse, il flottait. J'ai préféré utiliser un vélo italien Marastoni, monté en 53 x 42, peint en bleu Gitane. Les vélos pesaient plus de 8 kg à cette époque. Chez Magiglace, en 1974, nous avions des vélos Juaneda. Le mien s'est cassé au bout de 40 km ; je me suis alors équipé en Colnago (un bleu et un orange). A l'UNCP (Union nationale des cyclistes professionnels), en 1975, je courais à nouveau sur un Marastoni, avec un M gravé sur la fourche.

Tu es un inconditionnel des cycles italiens...
Equipés en Campagnolo et Cinelli, ils étaient au sommet. Les vélos français paraissaient ridicules, avec leurs fourches en L, les dérailleurs en plastique... Quand ça cassait, en danseuse, tu passais par-dessus le vélo. Je me demande comment Bernard Thévenet a gagné deux Tours de France sur un Peugeot.

Quel maillot as-tu porté à l'Anjou vélo vintage ?
Un Sammontana jaune et bleu à manches courtes, que m'a offert Gianbattista Baronchelli. Dans ma valise, j'avais aussi un Sanson Gelati à manches longues.

Dans les années 1970, quels étaient pour toi les plus beaux maillots ?
Les maillots italiens étaient de qualité, fabriqués en laine mérinos. J'aimais bien celui de la Scic, noir et blanc. Le maillot Magiglace, bien que français, était joli. Les maillots italiens des années 50-60, comme celui de l'équipe Ignis, étaient aussi magnifiques.

Et le maillot le plus moche ?
Celui d'une équipe belge Gitane, bleu et mauve, je crois.

As-tu gardé des maillots, des cuissards, des casquettes de ces années chez les pros ?
Les maillots, oui. Je me souviens de l'odeur de naphtaline, lorsque nous les déballions. Les cuissards en laine s'usaient et on les jetait. Je n'ai plus de casquettes en coton, mais j'ai conservé des casquettes en laine, dont une Darnois, du magasin de cycles qui équipait l'UNCP.

Qu'est-ce tu portais sous le maillot ?
Un maillot de corps en laine et coton. Un canotiera, comme les appellent les Italiens.

Et les autres équipements ?
Des gants tressés, que les coureurs espagnols nous revendaient par paquets de dix. Ils étaient fichus au bout de trois courses sous la pluie. Je portais aussi des socquettes en laine.

Tu as encore des chaussures en cuir à cales ?
Oui, des Marresi en peau de kangourou, que j'ai utilisées à Saumur. A l'époque, on se faisait faire des chaussures sur mesure en Belgique, où je courais souvent. On posait des fers sur les talons, pour ne pas les user.

Tu entres encore dans tes maillots ?
Pierre Tosi, à l'époque des
salaires "affûtés" de l'UNCP.
Oui, sauf dans le maillot de l'UNCP. C'est normal : avec les salaires qu'on touchait à l'UNCP, on avait de quoi faire un régime alimentaire.
Quels étaient les salaires ?
500 francs à 1 000 francs par mois (soit 76 à 150 euros). Le SMIC était à 1 000 francs environ. J'attends toujours le remboursement de mes frais de déplacement chez Miko-de Gribaldy (1976).

Quels sont tes meilleurs souvenirs chez les pros ?
Quand je bats Merckx à un point chaud en arrivant à Orléans, sur la première étape de Paris-Nice, en 1974. Il est resté à la roue arrière. Autre bon souvenir : quand je bats Esclassan au sprint, à un critérium ; Esclassan est resté au pédalier. Je me souviens aussi m'être échappé 240 kilomètres sur une course de 280 kilomètres. Et cette Etoile des espoirs 1975, une course de cinq jours où j'ai gardé le maillot de meilleur grimpeur quatre jours.

Et le pire souvenir ?
Le Tour de Belgique, en avril 1973, avec un départ sous la neige. Largué dès le début, j'ai roulé 80 kilomètres sous la neige avant de monter dans l'ambulance. J'ai aussi le souvenir de courses contre la montre par équipes, une des épreuves les plus difficiles.

Rouler avec Eddy Merckx, c'était comment ?
Bien, quand tu pouvais prendre un relais ! En course, Eddy Merckx était assez fermé, très concentré. Plus sympathique à l'arrivée. Dans le peloton, il y avait comme des castes : d'un côté, les leaders, qui discutaient entre eux, et d'un autre, les coéquipiers. Mais sur les grandes courses, les leaders étaient silencieux, ils restaient concentrés.

Des champions sympas ? 
Gimondi et De Vlaeminck, qui disaient toujours bonjour.

Quelle était l'ambiance sur les courses ?
Sur les critériums et les kermesses, en Belgique, c'était la fête. On se retrouvait au restaurant, après la course. Je me souviens des belges qui mangeaient des frites avec une mayonnaise verte... Point de vue diététique, les choses ont bien changé. Mais ces "cri-cris", c'était dur, car chacun voulait gagner.

Est-ce qu'on te retrouvera sur une rando rétro ?
Oui, car j'ai passé un excellent moment à l'Anjou vélo vintage, sur mon vieux vélo, parmi ces amoureux des belles machines. J'ai même retrouvé un copain que je n'avais pas vu depuis 1969.

LE SAVIEZ-VOUS ?
La carrière de Pierre Tosi a inspiré Philippe Harel pour la réalisation du film Le Vélo de Ghislain Lambert, avec Benoît Poelvoorde.